• L'affaire Marc Dutroux

                      

    L'affaire Marc Dutroux


    RÉCIT

    Inhumaine, méchante et, finalement, injuste. Quelques qualificatifs définitifs qui accusent la Justice à l'aube de la Marche blanche. Le 20 octobre 1996, quelque 300000 citoyens, répondant à l'appel des parents des victimes de Marc Dutroux, viennent manifester dans les rues de Bruxelles. Pour dire, calmement mais fermement, que la machine policière et judiciaire ne fonctionne plus; que les magistrats doivent descendre de leur tour d'ivoire; qu'il faut que cela change.

    Le déclenchement de l'«affaire Dutroux», au coeur de l'été 1996, a provoqué un véritable séisme dont la justice belge ne s'est pas encore remise aujourd'hui. Tout a commencé le 15 août, quand Sabine et Laetitia, disparues respectivement le 28 mai et le 9 août, sont retrouvées dans une cache à Marcinelle. Deux jours plus tôt, un certain Marc Dutroux est arrêté et emmené pour interrogatoire à la BSR de Charleroi. Ce détenu en liberté conditionnelle finit par lâcher aux gendarmes: «Je vais vous donner deux filles». À la joie de découvrir deux enfants vivantes succède très vite l'horreur: le 17 août, les corps de Julie et Mélissa, disparues elles depuis 14 mois, sont déterrés à Sars-la-Buissière, dans un terrain appartenant à Marc Dutroux. Le 3 août, ceux d'An et Eefje, disparues en août 1995, sont retrouvés à Jumet, dans une autre propriété du même Dutroux.

    La Belgique, saisie d'effroi, n'en croit ni ses yeux, ni ses oreilles. Elle découvre le terme «dysfonctionnement» en même temps qu'elle articule le nom du prédateur, trait d'union entre tous ces enlèvements. Incrédule, l'opinion publique apprend que Marc Dutroux n'était pas inconnu de la Justice. Au contraire. Il avait été condamné le 26 avril 1989 à 13 ans et 6 mois d'emprisonnement pour viol (d'un enfant de moins de 14 ans et de deux autres mineurs) et séquestration (de 5 jeunes filles), puis libéré sous conditions trois ans plus tard.

    Stupéfaction

    L'opinion publique apprend avec stupéfaction les détails de l'enquête. Le nom de Dutroux apparaissait déjà dans des rapports confidentiels de la gendarmerie 6 semaines après la disparition de Julie et Mélissa. Dutroux fut même placé sous surveillance en août 1995 pour vérifier des rumeurs persistantes selon lesquelles il aménagerait les caves de ses maisons pour y loger des enfants en attente d'être expédiés vers l'étranger. Des perquisitions menées dans la sinistre maison de Marcinelle en novembre 1995 n'ont abouti à rien...

    Dans l'opinion, le malaise enfle: pourquoi la justice a-t-elle si mal travaillé? est-elle incompétente ou, pire, n'a-t-elle, délibérément, pas voulu chercher? Une évidence s'impose, insupportable: si on avait écouté les parents des victimes, si la justice et les polices avaient correctement fait leur travail, on aurait pu retrouver Julie et Mélissa en vie, on aurait pu éviter les enlèvements ultérieurs.

    Mais non, la guerre des polices et la mauvaise communication - au minimum - entre parquets ont fait échouer l'enquête. Et l'émotion suscitée dans la population est immense. Spontanément, les citoyens participent au deuil des familles: mots, fleurs, peluches sont déposés nombreux sur les différents lieux du drame. Les obsèques des fillettes de Grâce-Hollogne puis des jeunes filles de Hasselt prennent l'allure de funérailles nationales. Une foule d'anonymes suit les cérémonies sur le trajet des corbillards et sur les écrans de télévision. La population marque ainsi sa solidarité, son chagrin, sa colère aussi.

    Celle-ci culminera le 14 octobre 1996, quand la Cour de cassation dessaisit le juge d'instruction Jean-Marc Connerotte. La plus haute instance judiciaire reproche au magistrat chestrolais qui a permis la libération de Sabine et Laetitia d'avoir assisté à un souper-spaghetti en l'honneur des deux jeunes victimes de Marc Dutroux. En apparence, le juge d'instruction a manqué d'impartialité, a jugé la Cour.

    C'en est trop

    Pour l'opinion publique, déjà révoltée par l'attitude inhumaine de la justice, c'en est trop. Cet arrêt de la Cour de cassation enclenche grèves et manifestations en cascade. Premières cibles: les palais de justice. À Bruxelles, Liège, Charleroi, Namur, Ostende, Hasselt, Louvain et ailleurs, on assiste à des sit-in, à des jets d'oeufs, de tomates et de... spaghettis; à de vigoureux arrosages pour «nettoyer la justice». Dans les usines (Volkswagen à Forest, les Tec de la Louvière...) et les écoles, on débraie.

    «Les autorités judiciaires se sont trouvées contraintes, peut-être pour la première fois dans l'histoire, d'accepter un dialogue direct avec la population», observait à l'époque le politologue Jean Vogel («L'affaire Dutroux», éditions Complexe, 1997). Le procureur général de Liège, Anne Thily, a ainsi assuré à un millier d'ouvriers du chantier de reconstruction de la place Saint-Lambert, massés devant le palais de justice, que les coupables dans les dossiers d'enlèvements d'enfants et de pédophilie, quels qu'ils soient et quelle que soit leur position sociale, «feront tous l'objet de poursuites judiciaires, tous sur le même pied d'égalité».

    Une commission d'enquête

    Partout dans le pays, les petites manifestations se multiplient, en attendant la grande «Marche blanche» du dimanche 20 octobre, qui a connu le succès que l'on sait: affluence et détermination des manifestants assénant calmement leurs critiques en règle des institutions, réclamant explicitement qu'elles fonctionnent enfin correctement.

    Dans l'intervalle, le monde politique, singulièrement discret, voire absent de la scène, tente de reprendre les rênes de la situation. Le 17 octobre, la Chambre vote l'institution d'une commission parlementaire d'enquête «sur la manière dont l'enquête, dans ses volets policiers et judiciaires a été menée dans l'affaire Dutroux, Nihoul et consorts».

    Le 25 octobre 1996, les parents des enfants disparus et assassinés sont les premiers témoins à être entendus. Ce choix est évidemment délibéré - une manière ostensible de mettre les victimes à la première place dans l'enquête parlementaire. L'image des parents, personnages centraux depuis le début de l'affaire, «remplie d'humanité» (douleur, tristesse, dignité...) contraste singulièrement avec celle donnée par l'appareil judiciaire, isolé dans ses palais: insensible, froide, inhumaine...À la demande des parents et de la RTBF, la commission Dutroux sera retransmise en direct et intégralement (sauf les huis clos) sur les ondes de la chaîne publique.Cela apparaît comme une garantie de transparence, d'authenticité et de vérité, autant d'exigences des marcheurs blancs. La justice est rendue en direct à la télévision.

    La commission Dutroux, présidée par Marc Verwilghen, un député VLD inconnu jusque-là, devient le feuilleton préféré des Belges qui suivent, par centaines de milliers, les auditions, révélations et confrontations entre témoins. Au total, pendant près de 6 mois, pas moins de 108 personnes auront défilé devant la barre parlementaire.

    Le 14 avril 1997, la Chambre reçoit le rapport de la commission Dutroux - qui sera voté à l'unanimité trois jours plus tard. Une tentative de répondre à la question: «Comment et pourquoi notre système de justice pénale a-t-il pu produire de tels échecs?». Les réponses apportées par les députés-commissaires sont autant de condamnations sans appel. Les polices (gendarmerie, police judiciaire et polices communales) en prennent tout autant pour leur grade.

    Tout au long de l'enquête ou de la non-enquête, les victimes ont souvent été infantilisées, dépossédées, déresponsabilisées, tranchent les enquêteurs-commissaires. Les divers échelons et acteurs de l'administration de la justice pénale fonctionnent de manière indépendante; la segmentation, le cloisonnement sont devenus la règle bien plus que l'exception. Sans compter le manque d'échange d'informations entre les parquets qui ont une attitude «passive-réactive»... Circonstance atténuante: le manque de moyens mis (par le politique...) à la disposition de la justice. Dans des proportions effrayantes. Exemple: les fardes des dossiers répressifs ont vu leur épaisseur se réduire d'année en année et se déchirent dès la première manipulation, aussi soigneuse soit-elle. On croit rêver...

    Double réforme

    Face à ce constat de carence, des réformes d'envergure s'imposent, tant au niveau policier que judiciaire. Mais la commission Dutroux joue les prolongations et s'attarde, dans une seconde phase, à vérifier si d'éventuelles protections ont pu jouer un rôle dans la manière dont l'enquête a été menée dans les dossiers d'enlèvements d'enfants.

    Il faudra attendre l'évasion-minute de... Marc Dutroux du palais de Justice de Neufchâteau, en avril 1998, pour qu'un électrochoc se produise. Le monde politique, majorité (PSC, CVP, PS et SP) et opposition (VLD, PRL, Ecolo, Agalev) confondues, se mettent enfin à table pour refonder les systèmes de justice et de police. Les accords «Octopus» sont scellés au printemps 1998. La réforme des polices est aujourd'hui réalisée: gendarmerie, police judiciaire et polices communales ont disparu, laissant la place à un nouveau service intégré à deux niveaux, fédéral et local. Les bonnes intentions pour rénover la justice sont, elles, plus lentes à se concrétiser.

    Cela apparaît comme une garantie de transparence, d'authenticité et de vérité, autant d'exigences des marcheurs blancs. La justice est rendue en direct à la télévision.

    La commission Dutroux, présidée par Marc Verwilghen, un député VLD inconnu jusque-là, devient le feuilleton préféré des Belges qui suivent, par centaines de milliers, les auditions, révélations et confrontations entre témoins. Au total, pendant près de 6 mois, pas moins de 108 personnes auront défilé devant la barre parlementaire.

    Le 14 avril 1997, la Chambre reçoit le rapport de la commission Dutroux - qui sera voté à l'unanimité trois jours plus tard. Une tentative de répondre à la question: «Comment et pourquoi notre système de justice pénale a-t-il pu produire de tels échecs?». Les réponses apportées par les députés-commissaires sont autant de condamnations sans appel. Les polices (gendarmerie, police judiciaire et polices communales) en prennent tout autant pour leur grade.

    Tout au long de l'enquête ou de la non-enquête, les victimes ont souvent été infantilisées, dépossédées, déresponsabilisées, tranchent les enquêteurs-commissaires. Les divers échelons et acteurs de l'administration de la justice pénale fonctionnent de manière indépendante; la segmentation, le cloisonnement sont devenus la règle bien plus que l'exception. Sans compter le manque d'échange d'informations entre les parquets qui ont une attitude «passive-réactive»... Circonstance atténuante: le manque de moyens mis (par le politique...) à la disposition de la justice. Dans des proportions effrayantes. Exemple: les fardes des dossiers répressifs ont vu leur épaisseur se réduire d'année en année et se déchirent dès la première manipulation, aussi soigneuse soit-elle. On croit rêver...

    Double réforme

    Face à ce constat de carence, des réformes d'envergure s'imposent, tant au niveau policier que judiciaire. Mais la commission Dutroux joue les prolongations et s'attarde, dans une seconde phase, à vérifier si d'éventuelles protections ont pu jouer un rôle dans la manière dont l'enquête a été menée dans les dossiers d'enlèvements d'enfants.

    Il faudra attendre l'évasion-minute de... Marc Dutroux du palais de Justice de Neufchâteau, en avril 1998, pour qu'un électrochoc se produise. Le monde politique, majorité (PSC, CVP, PS et SP) et opposition (VLD, PRL, Ecolo, Agalev) confondues, se mettent enfin à table pour refonder les systèmes de justice et de police. Les accords «Octopus» sont scellés au printemps 1998. La réforme des polices est aujourd'hui réalisée: gendarmerie, police judiciaire et polices communales ont disparu, laissant la place à un nouveau service intégré à deux niveaux, fédéral et local. Les bonnes intentions pour rénover la justice sont, elles, plus lentes à se concrétiser.


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