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    Document archives : Comment l'adolescent studieux des années 1880 est-il devenu un petit escroc multirécidiviste vingt ans plus tard, avant de se transformer en assassin froid et déterminé à  partir de 1914 ? Extrait de "Landru, bourreau des coeurs", de Gérard A.Jeager (l'Archipel)

     

    1869 : Henri Désiré Landru naît à  Paris le 12 avril, 41 rue Puebla (aujourd'hui rue Simon-Bolivar) dans le quartier de Belleville, de Julien, chauffeur de son état, et de Flore Henriquel, couturière à  domicile. Il est le cadet de Florentine-Marguerite, née en 1854.

     

    1870 : La France de Napoléon III déclare la guerre à  la Prusse et moins de deux mois plus tard elle capitule à  Sedan : l'empire  est prêt à  s'effondrer tandis que la IIIe République est en passe d'être proclamée.

     

    1885 : Adolescent studieux, Henri-Désiré est enfant de choeur et sert la messe à  l'église de Saint-Louis-en-l'Ile où ses parents se sont installés quelques années plus tôt.

     

    1889 :  Landru a vingt ans. Son désir de plaire et de paraître le pousse à  s'acquitter de ses ambitions sociales : aussi, tandis qu'il devient commis - successivement chez trois architectes - il prétend qu'il y travaille en tant que technicien. Il ment volontiers à  son entourage, et notamment à  l'une de ses voisines de la rue du Cloître-Notre-Dame dont il est tombé amoureux : Marie-Catherine Rémi. La France, cette année-là, se passionne pour le scandale de Panama dont la Compagnie du canal est mise en liquidation judiciaire.

     

    1890 : Pour le jeune Landru, l'heure est venue de faire son service national. Incorporé au 87e régiment d'infanterie stationné à  Saint-Quentin, il lui est possible de revoir [...] l'élue de son coeur. A l'automne, la jeune fille tombe enceinte.

     

    1891 : Marie-Catherine met au monde une fille : Marie-Henriette.

     

    1893 : Renvoyé dans ses foyers avec le grade de sergent, Henri Désiré Landru épouse Marie-Catherine Rémi à  la mairie du Ve arrondissement, puis il reconnaît sa fille.

     

    1894 : Marie-Catherine Landru met au monde un garçon : Maurice-Alexandre. Henri Désiré - aux dires de sa femme - se fait escroquer de mille huit cents francs. Les affaires sont difficiles, mais le jeune couple rêve de vivre dans une aisance bourgeoise. Landru décide alors de se lancer dans les affaires afin de concrétiser cette ambition. Mais la conjoncture économique est déliquescente et les tensions sociales sont vives : le président Carnot est assassiné à  Lyon par l'anarchiste Caserio, et la condamnation du capitaine Dreyfus divise  le pays.

     

    1896 : Marie-Catherine met au monde une fille : Suzanne.

     

    1897 : Henri Désiré peine à  s'accomplir dans les affaires. La République modérée mise en place au lendemain de la Commune souffre d'une instabilité chronique, qui a pour conséquences de réveiller les conflits politiques et les intérêts de classes. Impatient d'accéder à  la réussite, il brûle quelques étapes et s'octroie ses premiers passe-droits en matière de moralité : afin d'obtenir les emplois rémunérateurs qu'il convoite, il rédige un faux certificat de travail .

     

    1900 : Marie-Catherine donne naissance à  un garçon : Charles-Henri-Désiré, leur quatrième enfant. Les différents métiers pratiqués par Landru ne l'ayant pas enrichi, il fonde une manufacture de bicyclettes à  pétrole.

     

    1901 : Dans le cadre de sa petite entreprise, Landru s'abandonne de nouveau à  quelques détournements destinés à  compenser le déficit qu'il creuse de jour en jour : il passe des annonces  engage du personnel dont il encaisse les cautionnements sur les fournitures en matériels... Puis il met la clé sous la porte, change de nom et de métier, avant d'imaginer une nouvelle escroquerie.

     

    1902 : Commence alors une longue série d'emprisonnements consécutifs à  diverses plaintes pour malversations. Il est une première fois condamné par défaut à  trente-six mois de prison et cinquante francs d'amende. Si l'indélicatesse ne paie pas, comme le prouvent quelques affaires retentissantes à  cette époque... la tentation de l'argent facile est grande : et la France  n'a d'yeux que pour Thérèse Humbert, que la police vient d'interpeller en Espagne pour  escroqueries à  l'héritage ! C'est sous le pseudonyme de Natier que Landru commet maintenant ses forfaits.

     

    1904 : Pris en flagrant délit d'escroquerie au cautionnement, l'incorrigible jeune homme, qui a maintenant trente-cinq ans, est à  nouveau condamné à  vingt-quatre mois d'emprisonnement et cinquante francs d'amende. Au cours de son incarcération, il simule un suicide . Mais à  sa sortie de prison, il n'a de cesse de récidiver sous diverses identités : Dupont, Chatelle, Maddau, Remy... comme un glissement progressif dans la délinquance, une confrontation permanente avec le crime.

     

    1906 : Landru ne connaît pas la loi sur le repos hebdomadaire que le gouvernement promulgue le 3 juillet : insatiable et continuellement à  l’affût d'un mauvais coup, il est condamné cette année-là, pour ses pitoyables escroqueries, d'abord à  treize mois de prison et cinquante francs d'amende, puis à  trente-six mois et cent francs d'amende... Une expertise médicale conclut alors à  un état mental maladif et à  une atténuation de sa responsabilité.

     

    1907 : Paris est un théâtre à  la mode où l'argent coule à  flots. L'insouciance bourgeoise est de mise partout où l'on rivalise d'élégance : dans les rues, dans les cafés, dans les salons. Or, pendant ce temps, Landru croupit en prison.

     

    1909 : Tandis qu'il purge sa peine et ronge son frein, Henri Désiré est confondu dans une ancienne affaire d'escroquerie au mariage aux dépens d'une dénommée Jeanne Isoré, pour une somme de quinze mille francs. Sous le nom de Paul Morel, il avait expérimenté pour la première fois ce moyen de s'en prendre aux veuves esseulées dont les journaux rapportaient  les mésaventures. Or, si la crise morale de la société commence à  se faire sentir, le climat politique n'encourage guère à  l'optimisme : tandis que la France, la Russie et l'Angleterre ont signé la Triple Entente, la situation s'est dégradée dans les Balkans où la Serbie vient de proclamer un dangereux programme d'annexions territoriales.

     

    1910 : Landru sort enfin de prison, mais il ne profite guère de sa liberté retrouvée : un nouveau jugement le condamne presque immédiatement à  trente-six mois supplémentaires de prison pour des faits remontant à  plusieurs années, ainsi qu'à  cent francs d'amende. L'ère des scandales politico-financiers ne fait que commencer, mais Landru le sans-grade, le gagne-petit de la délinquance économique, malgré sa débauche de condamnations n'intéresse pas les journaux. Il faut dire qu'il  n'a pas l'envergure du banquier Rochette, que la justice vient de condamner à  deux ans de prison et mille francs d'amende pour escroqueries et pour infraction à  la loi sur les sociétés.

     

    1911 : Sa peine purgée, très affaibli par ses séjours derrière les barreaux, mais aguerri par l'expérience et les relations douteuses qu'il a tissées en prison, Landru n'est plus le même homme : à  passé quarante ans, il se retrouve à  la charge de sa femme, qui ne craint pas de lui rappeler qu'elle élève leurs quatre enfants toute seule depuis plus de dix ans ! Il promet alors de se racheter, la rassure et lui affirme que ses rêves de jeunesse n'ont pas pris une ride et qu'il est prêt à  repartir à  zéro : pour preuve, il loue un appartement, 60 rue Blomet dans le XVe arrondissement de Paris, où ils emménagent tous les six.

     

    1912 : Mais il était écrit que ce frêle bonheur n'était pas fait pour durer : car si les parents de Landru sont venus s'installer sous leur toit, la mère de Henri Désiré meurt peu de temps après, tandis que son père, dont la moralité n'a jamais été prise en défaut, se suicide sans laisser d'explication... Mais son geste en dit long sur la honte infinie qui l'avait envahi depuis que son fils avait affaire à  la justice. Pourtant, ni la prison ni la mort violente de son père n'y feront rien : désormais, Henri Désiré Landru s'enferme dans l'univers sans retour de ses forfaitures et de ses rêves incompétents d'honnête homme, et sans cesse en quête d'argent. Tandis que son père lui a laissé quelque dix mille francs en héritage, ses escroqueries, cette année-là, lui en rapportent près de cinquante mille ! Or, s'il améliore sa technique et multiplie les gains, sa forfanterie le rend imprudent et les plaintes redoublent autour de lui. Le monde change et il ne s'en aperçoit pas. Comme un augure funeste, le symbole d'une époque à  jamais révolue, le Titanic sombre dans l'Atlantique Nord. Mille cinq cent treize personnes disparaissent dans le naufrage, prémices de la grande fracture de 1914.

     

    1913 : Landru, qui se sait pourchassé de toutes parts, cède l'appartement de la rue Blomet à  sa belle-soeur. Puis, après s'être fait oublier quelque temps à  Bièvres, il loue un nouvel appartement près de Paris pour sa famille, 12 rue de Châtillon à  Malakoff, où il exploite un petit atelier de garagiste : une couverture pour ses activités illicites.

     

    1914 : C'est alors que tout bascule, définitivement. Au mois de février, Landru fait la connaissance d'une dénommée Jeanne Cuchet dans les jardins du Luxembourg, auprès de laquelle il se fait passer pour un commis des Postes, divorcé, père de deux fillettes. Le cycle infernal peut alors commencer, dans une France qui ne parle que de l'affaire du ministre Caillaux, dont l'épouse a tué le directeur du Figaro de cinq coups de revolver ! Deux mois plus tard, sous le nom de Raymond Diard, Landru loue une petite maison à  La Chaussée, près de Chantilly, pour y emmener Jeanne Cuchet et les conquêtes féminines qu'il compte séduire au rythme de ses appétits financiers. Au cours de l'été, Landru est appelé à  comparaître une fois encore devant ses juges : quinze plaintes pour escroquerie ont été déposées cette fois-ci contre lui, pour un montant total de trente-cinq mille six cents francs ! Craignant le pire, il ne se rend pas au tribunal, qui le condamne à  quarante-huit mois de prison par défaut et mille francs d'amende, assortis de la relégation.  Désormais, si la police le retrouve, il sait qu'un bateau l'attend pour Cayenne ! Quelques jours plus tôt, un anarchiste serbe lui sauvait la mise : Gavrilo Princip, assassinait en effet l'archiduc d'Autriche et sa femme au cours d'une visite à  Sarajevo  Toutes les chancelleries sont sur le pied de guerre. Un mois plus tard, à  Paris, le 31 juillet, Jean Jaurès est assassiné dans un café. Le feu couve de toutes parts et Landru disparaît aussitôt dans les marges de l'Histoire ! Trois jours plus tard, la France est en guerre contre le kaiser. [...] Aussi, tandis qu'il vient de résilier le bail de sa location de La Chaussée, Henri Désiré Landru, que tout le monde a déjà  oublié, se sent les coudées franches : le monde en guerre lui appartient ! Dès le mois de décembre, dans une commune de l'ouest parisien, 47 rue de Mantes à  Vernouillet, il loue une maison sous le nom de Cuchet, qu'il emprunte à  sa première conquête.

     

    1915 : Au cours du premier trimestre, c'est sous le nom de Lucien Frémyet que Landru loue près de la gare de l'Est à  Paris, 152 rue du Faubourg-Saint-Martin, un appartement qui lui servira de garçonnière discrète pour y emmener les prochaines conquêtes qu'il compte recruter par les journaux. La guerre, qui laisse tant de femmes esseulées, lui sert de pourvoyeuse inlassable ! Il passe donc sa première annonce matrimoniale dans L'Echo de Paris. Or, pendant ce temps, Jeanne Cuchet et son fils André disparaissent mystérieusement dans la villa de Vernouillet. Sur le front, les soldats français tombent sous les gaz asphyxiants. A Paris, Landru entreprend de consoler les veuves de guerre avant de s'approprier leurs biens... C'est du moins ce que l'histoire retiendra faute de preuves.Dès le mois de mai, il fait en effet la connaissance de Marie Guillin, Anna Collomb, Célestine Buisson et Thérèse Laborde-Line par le biais d'une deuxième annonce passée dans Le Journal. Il récidive en juin tandis que Thérèse Laborde-Line disparaît à  Vernouillet dans des circonstances tout aussi énigmatiques... A Paris, 137 rue Mouffetard, il loue un garde-meubles pour y entreposer les effets de ses victimes. L'été venu, comme il résilie le bail de l'appartement qu'il occupait rue du Faubourg-Saint-Martin, Marie Guillin disparaît à  son tour dans la villa de Vernouillet ! Les meubles et les effets de Mme Guillin sont alors entreposés à  Neuilly, dans une remise qu'il vient d'acquérir ; et c'est près de la gare Saint-Lazare, 8 place de Budapest, qu'il décide d'abord de conduire les femmes qu'il a sélectionnées pour les dépouiller de leurs biens ! Toutefois, il ne conservera cette adresse qu'une semaine avant de s'installer quelques rues plus loin, 15 rue Lamartine, sous le nom de M. Petit. Peu de temps après, tandis qu'il lui a donné rendez-vous pour la séduire et pour la perdre, il fait la connaissance de Berthe Héon, que l'annonce matrimoniale passée dans Le Journal a jetée dans ses bras. C'est à  cette époque-là  qu'il se dessaisit du garde-meubles de la rue Mouffetard pour une adresse à  Neuilly, qu'il conservera jusqu'à  la fin de l'année 1915. Puis il loue pour deux semaines un local à  Paris, rue Etex, car ses affaires sont enfin florissantes. Au même moment, il prend en location, sous le nom de Lucien Frémyet, un appartement à  Levallois-Perret, 47 avenue de Villiers en lisière du XVIIe arrondissement, et décide de quitter Vernouillet pour une maison à  Gambais, à  quarante kilomètres au sud-ouest de Paris : il la loue sous le nom de Raoul Dupont, et dès le mois de décembre, Berthe Héon, sa conquête depuis quelques mois seulement, y disparaît sans laisser de traces, comme trois autres avant elle à  Vernouillet ! Pendant ce temps, l'armée lance une offensive d'envergure destinée à  percer le front allemand. Malheureusement, les moyens engagés ne produisent pas les effets escomptés. Aussi, tandis que l'on célèbre la journée du " poilu ", on recourt à  " l'emprunt de la victoire " pour pallier le déficit budgétaire du pays. Profiteur de guerre, Henri Désiré Landru, officiellement disparu, sévit en toute impunité .

     

    1916 : Sûr de lui, Landru commence à  tenir une comptabilité rigoureuse de ses dépenses et des recettes engendrées par sa terrible activité : tout est répertorié sur fiches et dans une série de carnets dont la précision des données le perdra aux yeux de la police. En France, le sucre, le lait et les oeufs sont fortement taxés. Le coût  de la vie augmente de façon démesurée : entretenir une famille et vivre une existence de séducteur confère une rigueur budgétaire que l'escroc enseigne à  " l'assassin " pour survivre à  sa débauche d'activités. Or, tandis qu'il résilie le bail de son appartement de Levallois pour le 22 de la rue de Châteaudun dans le IXe arrondissement de Paris, Landru, alias Lucien Frémyet, loue une remise à  Clichy, tout à  côté du 6 de la rue de Paris, où il emménage discrètement avec sa famille légitime. Sur le front, pendant ce temps-là, de violents combats ont lieu à  Douaumont  A Gambais, on le surprend en train d'acheter plusieurs boîtes de cartouches pour ses deux fusils et son revolver ! D'après ses carnets, c'est au mois de septembre qu'il fait la connaissance d'Anne-Marie Pascal par le biais d'une annonce passée dans La Presse : il prétend alors s'appeler Forest. Trois mois plus tard, il quitte la rue de Châteaudun, de même qu'un second appartement loué non loin de là, 69 boulevard de Levrai dans la banlieue parisienne. C'est à  la fin du mois de décembre qu'Anna Collomb disparaît à  son tour à  Gambais. Landru, qui aime la lecture, a-t-il acheté l'ouvrage publié cette année-là  par le poète Paul Géraldy intitulé La Guerre, Madame ?

     

    1917 : Dès le mois de février, Landru loue un nouvel appartement non loin de la gare du Nord, 32 rue de Maubeuge. Puis il passe aussitôt une annonce matrimoniale dans La Presse, sous le pseudonyme de Lucien Guillet. Pourtant, c'est par le biais d'une autre annonce, signée Deroy, passée dans L'Echo de Paris, qu'il fait la connaissance de Louise Jaume. Mais cette année-là  sera marquée par deux rencontres fortuites qui n'auront pas le même destin. C'est dans la rue, en effet, qu'il aborde une jeune fille sans fortune tout juste âgée de dix-neuf ans, Andrée Babelay, qu'il séduit sans perspective de profit, avant de la faire disparaître contre tout entendement. Puis il rencontre Fernande Segret dans un autobus : elle seule, rescapée de Landru et témoin de sa double vie, deviendra sa maîtresse attitrée jusqu'à  son arrestation par la police. Il résilie alors le bail de son appartement de la rue de Maubeuge pour le 113 boulevard Ney, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, sous le nom de Frémyet, son principal pseudonyme. Andrée Babelay et Célestine Buisson disparaissent tour à  tour à  Gambais, entre le mois d'avril et le mois de septembre. Durant cette période, de nombreux soldats français se mutinent . De son côté, Landru quitte le boulevard Ney pour retourner dans le IXe arrondissement, 76 rue de Rochechouart, un entresol qu'il loue sous le nom de Lucien Guillet. Le cycle infernal aurait pu durer quelque temps encore, si au cours du mois d'octobre une dame répondant au nom de Pellat, n'avait écrit au maire de Gambais pour lui demander des informations sur un certain Cuchet - ou Frémyet - que sa soeur avait suivi avant de disparaître sans donner de ses nouvelles. Au même moment, Landru mettait fin à  ses relations avec Louise Jaume, dont personne n'entendra jamais plus parler... Et c'est encore en toute impunité qu'il inscrit son nom dans ses carnets de comptes, en regard de la somme que lui rapporte son escroquerie au mariage ! A Noêl, Landru offre à  sa maîtresse, Fernande Segret, le sautoir de sa première victime. Les journaux relatent alors l'exécution de Mata Hari, fusillée dans les fossés du château de Vincennes pour intelligence avec l'ennemi. De retour dans son foyer, auprès de sa femme et de ses enfants , Landru commente l'actualité, disserte sur la dureté des temps et les difficultés qu'il rencontre à  gagner le peu d'argent qu'il leur consent. Car pour Marie-Catherine et les enfants, il exerce officiellement le métier de brocanteur.

     

    1918 : Anne-Marie Pascal disparaît à  Gambais, un an presque jour pour jour après Andrée Babelay. Et Landru d'inscrire à  nouveau son nom dans ses carnets : deux chiffres que l'enquête déterminera comme étant l'heure de sa mort. Pour un solde de tout compte de 8,85 francs ! Un sou est un sou, pour cet homme dont les moyens n'avaient pas l'ambition de ses rêves. C'est l'époque des cartes d'alimentation. La vie est étriquée pour tout le monde et Paris est régulièrement bombardée par l'artillerie allemande. Toujours à  court d'argent, Landru cherche à  sous-louer la villa de Gambais tandis qu'il se remet en chasse d'une proie plus argentée. Cette fois-ci, c'est par l'intermédiaire d'un certain Morel, courtier d'affaires, qu'il fait la connaissance d'une ancienne prostituée, Marie-Thérèse Marchadier, qui cherche à  vendre son mobilier. Mais bientôt, les troupes allemandes s'effondrent sur le front de l'Ouest. La fin de la guerre est proche et Landru s'exclame devant Fernande Segret : " La guerre se termine trop tôt ! "

     

    1919 : Après Mme Pellat, c'est une certaine Marie Lacoste, inquiète de la disparition de sa soeur, Célestine Buisson, qui s'adresse au nouveau maire de Gambais pour lui soutirer des renseignements que Mme Pellat n'avait pas obtenus de son prédécesseur. Or, tandis que Landru emprunte  deux mille francs à  l'une de ses conquêtes, il met un terme tragique à  l'aventure qu'il entretient depuis peu avec Marie-Thérèse Marchadier. Dans un concours de circonstances qui ne doit plus rien au hasard après tant de disparitions  le père d'Anna Collomb porte plainte contre X au parquet de la Seine. Désormais, la machine administrative est en marche. L'étau se resserre : la police prend en compte les inquiétudes des familles et le dossier des femmes disparues est envoyé au parquet de Mantes. Le mois d'avril est celui de tous les dangers pour l'homme aux quatre-vingt-dix pseudonymes... Landru, qui vient de faire la connaissance d'une femme avec laquelle il a lié conversation dans le métropolitain, n'en sait encore rien : tranquillement, il lui donne rendez-vous sans se douter qu'il est activement recherché. Alertée par le procureur de la République de Mantes, la Sûreté générale confie le dossier à  la première brigade mobile de Seine-et-Oise, qui a mis l'inspecteur Belin sur ses traces. Or, tandis que l'on se demande comment on va mettre la main sur un individu qui n'a laissé de souvenirs que dans quelques mémoires incertaines, la chance, subitement, choisit son camp... Au début du mois, Laure Bonhoure, à  qui Landru avait été présenté naguère, l'aperçoit fortuitement dans un magasin de la rue de Rivoli, à  Paris, en compagnie d'une jeune femme ! Aussitôt alertée, la police se lance à  sa poursuite. Une rapide enquête conduit l'inspecteur Belin jusqu'à  la rue de Rochechouart, où l'individu poursuivi répondait au nom de Guillet. Le jour de ses cinquante ans, Landru est arrêté en compagnie de Fernande Segret. Très vite, Henri Désiré Landru est démasqué grâce à  son permis de conduire. Rue de Rochechouart, on découvre par ailleurs l'adresse de son dépôt de Clichy, qui contient des meubles, des objets divers et de nombreux vêtements féminins.  Quelques jours à  peine après son arrestation, le commissaire Dautel, qui conduit l'enquête, découvre une fiche de police au nom de Landru, alias Guillet, recherché pour escroqueries... De la prison de Mantes où il avait été incarcéré, il est transféré à  la Santé. Désormais, " l'affaire " est lancée : la rumeur publique tient son héros populaire de l'après-guerre. La presse amplifie si bien le phénomène que les témoins affluent dans les commissariats. Le Petit Journal est le premier à  manifester son intérêt pour l'énigme et tandis que la notoriété de Landru enfle de jour en jour, L’Oeuvre et Bonsoir émettent l'hypothèse d'un montage politique. A la fin du mois d'avril, les premières perquisitions ont lieu à  Gambais. La femme et le fils aîné de Landru sont accusés à  leur tour, mais ils seront rapidement disculpés. C'est au mois de mai que le juge Bonin ouvre enfin l'instruction qui conduira à  l'inculpation de Landru, à  son procès puis à  son exécution. Recherché partout en France avant la guerre, il est tombé pour avoir tenu, trop scrupuleusement, deux calepins  qui lui servaient de livre de compte et d'agenda ! Dès son incarcération, tandis que les journaux font état d'une série de crimes sans cadavres, le " mystère Landru " se répand un peu partout, jusqu'à  l'étranger : l'assassin présumé devient le prisonnier le plus populaire de France, son nom inspire les chansonniers  Lors des élections municipales, neuf mille bulletins portent le nom de Landru !.

     

    1920 : Le juge Bonin signe l'ordonnance de renvoi de Landru devant la chambre de mise en accusation. De son côté, le procureur de la République félicite les policiers qui ont permis l'arrestation de Landru, que tout le monde décrit comme un tueur sans états d'âme, dont le pouvoir mystérieux inquiète les foules et les charme tout à  la fois.

     

    1921 : Dès le mois de janvier, tandis que le Soldat inconnu est inhumé sous l'Arc de triomphe à  Paris, le substitut du procureur Godefroy rédige le brouillon de l'acte d'accusation contre Landru. Mais il faudra attendre le mois de novembre pour que le prévenu comparaisse devant ses juges. En mars, l'Allemagne refuse les volontés des Alliés en matière de réparations de guerre. Pour une partie de la presse, le gouvernement de Georges Clemenceau aurait excité la curiosité publique sur l'affaire Landru afin de la distraire des négociations qui s'enlisent. En octobre, prémices à  son procès criminel et répétition générale pour les observateurs, la 11e chambre correctionnelle de Versailles condamne Landru pour les escroqueries qui n'ont pas encore été jugées. Au fond de sa cellule, il exécute un croquis qu'il remettra à  l'assistant de Me de Moro-Giafferi, son défenseur : au dos de ce dessin, qui représente la cuisine de sa maison de Gambais, Landru, de manière énigmatique, se confesse à  demi-mots... Mais il lui fait promettre de ne pas le rendre public ! Le 7 novembre au matin, le procès de Landru s'ouvre devant les assises de Versailles [...]. Trois semaines plus tard, au terme de huit heures de délibérations, les jurés déclarent Henri Désiré Landru coupable de onze meurtres et le condamnent par là  même à  la guillotine.

     

    1922 : Après que le président de la République eut refusé sa grâce, Landru est exécuté par Anatole Deibler, le 25 février à  6 h 10, devant la prison Saint-Pierre de Versailles. Landru peut mourir : la France n'a plus besoin de lui, diront les mauvaises langues [...].

     

    1923 : Dans la salle des assises qui a abrité le procès de Landru, les meubles et la plupart des objets ayant appartenu aux disparues de Vernouillet et de Gambais sont vendus aux enchères, de même que la célèbre cuisinière [...]. La totalité de la vente se monte à  sept mille cent quatre-vingts francs. Au mois de septembre, le président Millerand, qui avait refusé la grâce de Landru, passe ses vacances à  Rambouillet et fait le pèlerinage de Gambais en compagnie de ses deux filles.

     

    1933 : On découvre à  Saint-Denis, près de Paris, le squelette d'une femme dans une maison qu'aurait jadis fréquentée Landru. Il n'en faut pas davantage pour que naissent des spéculations sur l'éventualité d'autres victimes, jamais réclamées par leurs familles.

     

    1940 : Le restaurateur qui avait acheté la maison de Gambais tout de suite après l'exécution de Landru, la revend à  une dame Segret, qui n'a aucun lien de parenté avec l'ancienne maîtresse de l'escroc séducteur.

     

    1955 : Fernande Segret, qui était une artiste de variétés au temps de Landru, est engagée au Moulin de la chanson, dans une revue de cabaret. Sa notoriété du moment fait salle comble. A Paris, à  la demande d'un ancien médecin légiste, [...] un régisseur du Jardin des plantes enterre au pied d'un saule pleureur un carton contenant des restes humains numérotés. Tout porte à  croire qu'il s'agit des os découverts dans le poêle de Gambais...

     

    1958 : Le propriétaire de la maison de Vernouillet jadis louée par Landru, découvre deux squelettes dans le terrain qui jouxte son jardin... Mais on ne pourra pas les identifier comme appartenant à  Jeanne et André Cuchet : car s'il s'agit bien des restes d'une femme et d'un jeune garçon, ils ne correspondent pas à  l'âge des disparus.

     

    1961 : Une rumeur fait état d'une étrange affaire : peu de temps après son exécution capitale, Henri Désiré Landru aurait été vu à  Buenos Aires par le célèbre clown Grock. Les journaux s'en font largement l'écho et relancent l'affaire.

     

    1962 Après avoir appartenu à  un couple de retraités qui l'avait rachetée à  la dame Segret, la villa de Gambais est vendue à  des rapatriés d'Algérie. Le jardin devient un verger, les terres attenantes servent à  l'élevage des moutons [...].

     

    1963 : Me Gabriel Delattre, associé de Me de Moro-Giafferi, casse l'image romantique d'un Landru séducteur en témoignant de sa petitesse d'esprit et de ses manières de bourgeois du siècle de Zola.

     

    1965 À son retour du Liban, où elle séjournait depuis l'exécution de Landru, Fernande Segret propose ses mémoires à  un éditeur, qui les refuse. En désespoir de cause, s'estimant offensée par l'image que donne d'elle Claude Chabrol dans son film [de 1962], elle intente un procès à  sa société de production : le tribunal civil lui accorde dix mille francs de dédommagement sur les deux cent mille réclamés [...].

     

    1968 : A soixante-quatorze ans, Fernande Segret se suicide en se jetant dans les douves du château de Flers [Orne], non loin de la maison de retraite où elle s'était retirée. [...]. Quelques mois plus tard, le bâtonnier Claude Lusseau et la fille de Me Navières du Treuil, décédé l'année précédente, rendent public le dessin que Landru avait offert en guise " d'aveux " à  l'assistant de Me de Moro-Giafferi. Si certains historiens prennent ce témoignage au sérieux pour clore définitivement l'affaire, d'autres le considèrent pour un ultime pied de nez.


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  • Biographie de Charlie Chaplin.


    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Son enfance

    Né à East Lane dans le quartier de Walworth, un quartier très pauvre de Londres, le 16 avril 1889, quatre jours avant Adolf Hitler, Charles Spencer Chaplin est le fils de Charles Chaplin et de Hannah Hill (Lili Harley), tous deux artistes de music-hall. Il fut baptisé à l'Église d'Angleterre, mais il sera plus tard agnostique. Il n'a qu'un an lorsque son père part en tournée aux États-Unis. Il aura alors plusieurs demi-frères, l’un plus vieux que lui Sydney Chaplin, en 1885 d’une relation avec Sydney Hawkes, l’autre plus jeune Wheeler Dryden né en 1892 et ayant pour père Léo Dryden et lui-même père du musicien Spencer Dryden. Lorsqu'il revient des États-Unis, Chaplin senior découvre la nouvelle situation conjugale et abandonne sa famille, Charles Spencer n'avait alors que trois ans. La misère s'installe au foyer : Hannah, atteinte d'une maladie mentale, est internée dans un hôpital psychiatrique en juin 1894. Charlie et ses frères sont alors placés dans un orphelinat, à Hanwell. Deux mois plus tard, la mère de Chaplin obtient son congé de l'hôpital. Quelques années plus tard, Hannah sera de nouveau admise à l'hôpital et y restera, cette fois, huit mois. Pendant ce temps, Charlie vécut avec son père et sa belle-mère alcooliques, dans un environnement intenable pour un enfant, dont les souvenirs inspireront Le Kid.

    À cinq ans, Chaplin monte sur scène pour remplacer au pied levé sa mère qui ne peut plus chanter, victime d'une extinction de voix. C'est sa première apparition sur scène. Puis, en 1896, son père, ne trouvant plus d'engagement, sombre dans l'alcoolisme avant de mourir à l'âge de 37 ans, d'une cirrhose du foie.

    Le frère de Charlie, Sydney, s'en va du foyer parental pour travailler dans la navigation. Charles Spencer est alors seul avec sa mère. Entre neuf et douze ans, c'est grâce à son frère que Charlie entame une carrière d'enfant de la balle dans la troupe des Eight Lancashire Lads. Puis, il obtient à partir de 1903 une succession de contrats au théâtre, et en 1908, il est engagé dans la troupe de Fred Karno, alors le plus important impresario de spectacles avec des sketches. Il y rencontre le futur Stan Laurel. Au cours d'une tournée de la troupe en Amérique, la compagnie Keystone lui adresse une proposition de contrat qu’il accepte : l'aventure commence.

    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Le succès

    Les danses de l’époque étaient rapides et les films mis en boîte en quelques heures. Ne supportant pas les pressions dues à ces temps très brefs, Chaplin s'adapte très mal aux conditions de travail de la compagnie, à tel point que les incidents avec les metteurs en scène sont fréquents. Sur les ordres de Mack Sennett qui lui demande de se créer un maquillage au pied levé, il crée en 1914 le personnage raffiné de Charlot le vagabond, et recentre tout son comique autour du nouveau personnage et de sa silhouette qu'il inaugure dans Charlot est content de lui 1914. Dès cette première apparition, le public et les commandes des distributeurs affluent. Mécontent du travail des réalisateurs, Chaplin prend en main, à partir de juin 1914, la mise en scène de ses films. L'ascension est alors fulgurante. Ses salaires décuplent d'année en année, il change régulièrement de studio Essanay, Mutual Company. En 1916, il signe un contrat de distribution d’un million de dollars avec la First National, qui lui laisse la production et la propriété de huit films prévus. Il fait alors immédiatement construire son propre studio dans lequel il réalise 9 films dont Une vie de chien, Le Kid et Charlot soldat. En 1919, un vent de révolte souffle sur Hollywood où les acteurs et cinéastes se déclarent exploités ; Chaplin s'associe alors à David Wark Griffith, Mary Pickford et Douglas Fairbanks pour fonder la United Artists. Son premier film pour sa nouvelle firme sera L'Opinion publique 1923. Puis, Chaplin fait peu à peu entrer dans son univers comique celui du mélodrame et de la réalité sociale comme dans La Ruée vers l'or 1925.

    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Le cinéma parlant

    Farouche opposant au parlant, il introduit des éléments sonores par petites touches. Les Lumières de la ville 1931 est le premier film à en bénéficier, mais de manière très ironique. Chaplin souffle pendant des heures dans un vieux saxophone afin de parodier les imperfections du parlant lors de la scène d'ouverture du film. De plus Chaplin ne se détourne pas de son projet initial de film muet. Pour comprendre son refus, il faut savoir que le cinéaste était passé maître dans l'art de la pantomime. Le langage de Charlot est uniquement basé sur la gestuelle, donc un langage universel. Un film dialogué a une audience un peu plus limitée car il contient la barrière de la langue et Chaplin veut s'adresser à tous. Les critiques s'accumulent. On le dit fini, à l'instar de ses amis David Wark Griffith, Mary Pickford et Douglas Fairbanks et de bien d'autres vedettes du muet qui n'ont pas survécu au parlant. Il entreprend un long voyage, qui va durer plus d'un an et demi, à travers le monde, en Europe notamment, pour présenter son film. Il rencontre la plupart des chefs d'états et de nombreuses personnalités, parmi lesquelles Albert Einstein. Il s'inquiète de la situation économique, du chômage et de la misère sociale, lui qui n'a jamais oublié la sienne.

    Il conjugue tout cela dans Les Temps modernes 1936, le dernier film muet de l'histoire et l'un des plus célèbres, sinon le plus célèbre, de son auteur. Il n'intègre que quelques scènes dialoguées, l'essentiel du film restant muet. Il prouve à ses détracteurs qu'il faut encore compter avec lui et que le parlant n'est pas un problème. Après de multiples emplois, Charlot est engagé dans un restaurant. Il doit chanter, mais le trac le paralysant, il oublie ses paroles. Le personnage joué par Paulette Goddard les lui copie sur ses manchettes. Malheureusement, lors de son entrée, il envoie valser ses antisèches. Il balance un charabia incompréhensible mélange de sonorités françaises et italiennes, assortie d'une pantomime qui fait rire l'assistance. Charlot s'en sort avec le langage du clown. Cette scène est un évènement: pour la première fois, le public du monde entier peut entendre la voix de son personnage fétiche. Ce film est également l'ultime apparition à l'écran de Charlot. Il parle aussi de la difficulté du travail à la chaîne qui rend fou la plupart des employés, dont lui dans ce film, ce qui l'emmène à l'hôpital psychiatrique.

    En 1940, il tourne Le Dictateur. Il répond, par moustache interposée, à Hitler et s'insurge contre la dictature qui empoisonne l'Europe. Hitler et Mussolini sont tournés en dérision, et deviennent Hynkel et Napoleoni. L'ambassadeur allemand aux États-Unis fait pression pour interdire le tournage et tout Hollywood, craignant des répercussions, demande à Chaplin de renoncer à son projet. Mais le cinéaste reçoit le soutien du président Franklin Roosevelt, lequel l'invitera, quelques semaines après la sortie du film, à la Maison Blanche, pour s'entendre réciter le discours final. Le film est interdit sur tout le continent, mais une rumeur circule : Hitler l'aurait vu, en projection privée. En France, il ne sortira qu'en 1946. Cette fois-ci, Chaplin est définitivement entré dans l'ère du cinéma sonore et signe l'arrêt de mort du petit vagabond.

    « Espoir... Je suis désolé, mais je ne veux pas être empereur, ce n’est pas mon affaire. Je ne veux ni conquérir, ni diriger personne. Je voudrais aider tout le monde dans la mesure du possible, juifs, chrétiens, païens, blancs et noirs. Nous voudrions tous nous aider si nous le pouvions, les êtres humains sont ainsi faits. Nous voulons donner le bonheur à notre prochain, pas lui donner le malheur. (...)
    Chacun de nous a sa place et notre terre est bien assez riche, elle peut nourrir tous les êtres humains. Nous pouvons tous avoir une vie belle et libre mais nous l’avons oublié...
     »

    Discours du barbier juif extrait du Dictateur 1940. Ce film fait preuve de tant de clairvoyance que l'on pourrait penser qu'il a été réalisé après la Shoah. La confusion fut entretenue entre autres par le FBI qui commençait tous ses rapports comme suit : Israël Thonstein alias Charles Chaplin. En fait, le Who’s Who de la communauté juive américaine avait auparavant affirmé que Chaplin était issu d’une famille nommée Thonstein, émigrée d’Europe de l’Est et établie à Londres depuis 1850.

    En 1943, alors qu'il vient de se marier pour la quatrième fois, il est victime d'un procès en reconnaissance de paternité que lui intente l'actrice Joan Berry et qui défraie la chronique. En 1946, Chaplin tourne son film le plus dur, Monsieur Verdoux. Orson Welles propose à Chaplin un scénario basé sur l'affaire Landru. Chaplin se l'approprie, réécrit le scénario, en y incorporant une critique du monde de l'Après-guerre et de ses dégâts économiques et sociaux. Pour éviter tout malentendu avec Welles, qui a écrit la première mouture du scénario, il lui propose 5 000 dollars et sa mention au générique. Ce que le cinéaste, en délicatesse financière, accepte. Une fois encore, Chaplin livre un message empreint de cynisme mais également d'humanisme. En 1950, il vend la quasi-totalité de ses parts à la United Artists et travaille aux Feux de la Rampe où il décrit la triste fin d'un clown dans le Londres de son enfance. Ses propres enfants apparaissent comme figurants et Chaplin tient le premier rôle. Le film sort en 1952 à Londres et vaut un triomphe à son auteur. L'une des plus belles scènes du film se trouve vers la fin : Buster Keaton joue un pianiste et Chaplin un violoniste. Mais rien ne se déroule comme prévu car Keaton a des problèmes avec ses partitions et son piano et Chaplin doit se battre avec les cordes de son violon. Grand moment de comique burlesque avec ces deux géants d'une époque révolue. Chaplin aurait même supprimé des scènes de Keaton qui auraient été plus comiques que les siennes au tournage. Il faut noter, que sur des paroles de Jacques Larue, c'est Chaplin qui a écrit la musique de la chanson du film Deux petits chaussons.

    Victime du Maccarthisme, il est harcelé par le FBI en raison de ses prétendues opinions de gauche qu'il a pourtant toujours niées, se présentant comme un "citoyen du monde". Pour cette raison, il se voit refuser le visa de retour lors de son séjour en Europe pour la présentation de son film. Il renonce alors à sa résidence aux États-Unis et installe sa famille en Suisse jusqu’à la fin de ses jours. Après avoir reçu le Prix international de la paix en 1954, il tourne à Londres Un roi à New York 1957 où il ridiculise la “Chasse aux sorcières” menée dans l'Amérique de la Guerre froide. En 1967, il tourne son dernier film, en couleur, La Comtesse de Hong-Kong, avec Sophia Loren, Marlon Brando et Tippi Hedren, dont l'action se déroule sur un paquebot et où il ne tient qu'un petit rôle : celui d'un steward victime du mal de mer.

    Au cours des années 1970, le monde entier lui rendra hommage : Prix spécial au Festival de Cannes en 1971 Festival où Jacques Duhamel, alors ministre des Affaires culturelles, le fit commandeur de l'ordre national de la légion d'honneur, Lion d'or à la Mostra de Venise, anoblissement par la reine d'Angleterre, Oscar spécial... Fêté et adulé, Sir Charles Spencer Chaplin s'éteint au matin de Noël, ultime pied-de-nez, le 25 décembre 1977. Début mars 1978, sa tombe est violée et sa dépouille est dérobée. De nombreuses demandes de rançon plus ou moins farfelues sont adressées à la famille Chaplin. Le corps du cinéaste sera retrouvé quelques semaines plus tard, et les deux malfrats qui l'avaient enlevé seront condamnés pour tentative d'extorsion de fonds.

    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Vie privée

    Charlie Chaplin épousa Mildred Harris en 1918, Lita Grey en 1926, Paulette Goddard en 1936, toutes trois ses partenaires à l'écran, et Oona O'Neill, fille de l'auteur dramatique Eugene O'Neill, en 1943.

    Ses mariages ont défrayé la chronique américaine, en effet il a 29 ans quand il se marie avec Mildred Harris, qui en a 15 ; il en a 35 quand il épouse Lita Grey qui a 16 ans ; il a 47 ans quand il convole avec Paulette Goddard qui en a 22 ; il a 54 ans lors de son mariage avec Oona O'Neill qui en a 18. Il aura huit enfants avec sa dernière épouse.

    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Du muet au parlant

    Le monde de Chaplin et surtout celui de son personnage Charlot est celui du muet. Cependant, avec l'arrivée du parlant, Chaplin a dû faire un choix et opérer un passage du muet au sonore, puis au parlant.

    C'est dans Les Lumières de la ville que Chaplin débute ce passage au sonore. Il utilise une bande son qu'il a lui-même composée et quelques effets de bruitage. Cependant, comme le dit Michel Chion, il s’agit tout de même d’un «véritable manifeste pour la défense du muet». Dès le départ, le titre du film le place sous le signe du visuel : la lumière. De nombreuses scènes se font également sous le signe de la révélation visuelle :dévoilement des statues et la scène finale où la jeune femme reconnaît Charlot et de voyeurisme :Charlot regardant une statue de femme nue. Choisir le sujet d'une jeune aveugle aurait pu permettre à Chaplin de travailler sur le monde du son. Or, s'il y a une chose qui n'est pas sonore, c'est bien le moment où le bruit de la portière fait croire à la jeune aveugle que Charlie est un millionnaire - gag qui a nécessité plusieurs mois d'élaboration, et plusieurs interruptions de tournage. Le bruitage se veut également un pied de nez au parlant. Lors de la scène de l'inauguration des statues, les seuls sons qui sortent de la bouche des officiels sont « quelques bêlements de saxophone à peine synchronisés avec le mouvement des lèvres  », qui invoquent la banalité du discours. De plus, lorsqu'un homme mange le savon de Charlie et que celui-ci se met à le disputer, tout ce qui sort de sa bouche sont des bulles de savon, comme si toute parole était vaine.

    Lorsque Chaplin débute le tournage des Temps Modernes 1936 en parlant, il se rend compte bien vite qu’il s’y perd. Il décide de brûler sa pellicule et de tout recommencer depuis le début. Même si son film est musicalisé à 90%, il reste muet, continuant d’avoir recours aux cartons pour les dialogues. Cependant, les intrusions de sons réalistes se font de plus en plus nombreuses : sons de machines, mais surtout, apparition de voix. Les premières lignes de dialogues sont retransmises par des machines : par le circuit de surveillance, par le gramophone et par une radio. D’ailleurs, la première voix entendue (celle du patron) est menaçante et toute puissante, provoquant l’esclavage des employés. Les autres voix, celles émises directement par les bouches des personnages, continuent à ne pas se faire entendre et sont retransmises par des cartons. La seule fois où on entend réellement un personnage parler « en direct » est également la première fois où l’on entend la voix de Chaplin. Cependant, même si celui-ci essaie d’avoir un langage articulé, il baragouine, ayant oublié les paroles de sa chanson : « c’est comme le langage à la naissance », langage que Chaplin développera dans les prochains films.

    Dans Le Dictateur, contrairement aux Lumières de la ville, le titre fait appel au monde de la parole. Même si le film est presque entièrement parlant et renonce définitivement aux cartons du muet, Chaplin ne renonce pas encore au langage de la pantomime. De surcroît, il s’agit du film où la « question du discours, de la parole retransmise est posée avec la plus grande virulence  ». Le film sera donc divisé entre deux discours importants : celui de Hynkel et celui du barbier. Celui de Hynkel sera ridiculisé par un charabia agressif mélange de yiddish, d'allemand et d'anglais, créant ainsi un « "espéranto" noir, un charabia au jappement glapissant ponctué de borborygmes et de hoquets  ». Le deuxième discours, celui où le barbier prend finalement la parole à la fin du film est également très important. Tout au long du film, le barbier s'est contenté de dire oui et non, de hocher de la tête. Il ne parle pas. Cependant, la finale du film l’obligera à prendre la parole, alors qu’un officier lui dit : « Le monde attend vos paroles ». À cela, il répondra qu’il ne peut pas. Cependant, Schutlz lui rappellera qu’il n’a pas le choix : « Vous devez parler, c’est notre seul espoir ». Ce n’est donc pas Charlot, ni le barbier qui se lève : c’est Chaplin qui prendra sa place et qui prononcera le discours, reprenant la parole à Hitler, substituant le Logos à ses éructations animales.

    Pour compléter sa transition au parlant, Chaplin a dû renoncer au personnage du vagabond et adopter un personnage anti-Charlot : Verdoux. Comme le dit André Bazin, « il n’est pas un trait de Charlot qui ne soit en Verdoux retourné comme les doigts d’un gant ». Et à la fin lorsque l’homme se dirige vers l’échafaud, "Vient alors le gag sublime, informulé mais évident, le gag qui résout tout le film : Verdoux c'était lui ! Ils vont guillotiner Charlot. Les imbéciles ne l'ont pas reconnu". C’est donc la mort d’un personnage, mais également la mort définitive du muet.

    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Engagement politique

    Chaplin s'engage politiquement dans certaines de ses œuvres, véritables caricatures de la société des années 1930. Des films comme "Les temps modernes" ou "Le dictateur" décrivent respectivement une critique de la société de consommation de masse et du travail à la chaîne, et une critique des régimes politiques dictatoriaux et fascistes qui s'installent en Europe. On peut donc affirmer l'engagement politique de Charlie Chaplin dans la société de son époque. Charlie Chaplin était surtout d'après certains textes du côté gauche. Il a été accusé de prendre des positions communistes aux états-unis ce que lui a valu des enquêtes du FBI et ce fut l'une des causes de son exil en Suisse. Dans son autobiographie, il juge sévèremment les artistes qui se convertissent en politicien.

    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Mariages

    Charlie Chaplin a été marié à quatre reprises;

    • Mildred Harris de 1919 à 1923.
    • Lita Grey de 1924 à 1927, ils ont deux fils, Charles Chaplin Jr. et Sydney Chaplin
    • Paulette Goddard de 1936 à 1942
    • Oona O'Neill de 1943 jusqu'à la mort de Chaplin en 1977, ils ont huit enfants, dont l'actrice Geraldine Chaplin.

    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Controverses

    Il n'existe aucune indication d'une ascendance juive de Chaplin, cependant tout au long de sa carrière, il y eut des controverses sur ses possibles origines juives. Dans les années 1930, la propagande nazie l'a constamment déclaré juif sous le nom de Karl Tonstein en se fondant sur des articles publiés antérieurement dans la presse américaine; les enquêtes du FBI sur Chaplin à la fin des années 1940 ont également mis l'accent sur ses origines ethniques. Les fantasmes sur la domination juive de l'industrie cinématographique sont probablement à l'origine de cette controverse. Durant toute son existence, Chaplin a farouchement refusé de contester ou de réfuter les déclarations affirmant qu'il était juif, en disant que ce serait « faire directement le jeu des antisémites ». En fait, baptisé dans l'Église anglicane, Chaplin est généralement considéré comme agnostique.

    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Filmographie

    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Victoires

    Comme Orson Welles, Alfred Hitchcock, ou Cary Grant, Charlie Chaplin n'a jamais reçu la célèbre statuette, sinon le prix honorifique. L'Oscar du meilleur acteur, ou l'Oscar du meilleur réalisateur ne lui a jamais été décerné, Il a toutefois reçu un Oscar de la meilleure musique de film en 1952 pour Les Feux de la rampe qui est le seul film réunissant Charlie Chaplin et Buster Keaton.

    Durant sa carrière, Charles Spencer Chaplin reçut deux Oscars d'honneur. Le 16 mai 1929, lorsqu'il gagna le premier, la procédure de vérification des votes n'était pas encore en place, peut-être cela influença-t-il cette victoire ... Avant cette consécration, il avait été nommé comme meilleur acteur, meilleur réalisateur. Ce n'est que quarante-quatre ans plus tard, en 1972, qu'il remporta l'autre Oscar d'honneur. C'est lors de la réception de ce prix que Charlie Chaplin reçut la plus longue ovation du public de l'Académie Award, elle dura cinq minutes !

    Il sera aussi nommé pour l'Oscar du meilleur film, l'Oscar du meilleur acteur et pour l'Oscar du meilleur scénario original. Durant toute sa carrière, Charlie Chaplin avait avoué son dédain envers l'Académie Award. Son fils, Charles Jr., écrira que son père avait provoqué la colère de l'Académie en 1930.

    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Récompenses

    • 1925 : prix du Meilleur Film Étranger pour La Ruée vers l'or au Kinema Junpo Awards
    • 1929 : Oscar d'honneur pour Le Cirque
    • 1940 : prix du Meilleur Acteur pour Le Dictateur au New York Film Critics Circle Awards
    • 1949 : prix du Meilleur Film Américain au Bodil Awards pour Monsieur Verdoux
    • 1953 : prix du Meilleur Film Étranger au Blue Ribbon Awards pour Monsieur Verdoux
    • 1953 : prix du Meilleur Film pour Les Feux de la rampe au Sindicato nazionale italiano dei giornalisti di film
    • 1953 : prix du Meilleur Film Étranger pour Monsieur Verdoux au Kinema Junpo Awards
    • 1959 : prix d'honneur au Bodil Awards
    • 1961 : prix du Meilleur Film Étranger pour Le Dictateur au Kinema Junpo Awards
    • 1972 : Oscar d'honneur : Pour son influence sur la réalisation de films de son siècle
    • 1972 : prix du gala au Film Society of Lincoln Center
    • 1972 : À la Mostra de Venise, il a gagné le Lion d'Or en récompense de sa carrière
    • 1973 : Oscar de la meilleure musique de film
    • 1974 : prix d'honneur à la Directors Guild of America
    • 1974 : prix de la Meilleure Réalisation pour Les Temps modernes au Jussi Awards
    • 1977 : Au British Academy of Film and Television Arts, il a obtenu les amitiés de l'académie (Academy Fellowship)
    • 2001 : Monsieur Verdoux a été visionné au Festival de Cannes 2001 pour une rétrospective sur la vie de Chaplin
    • 2003 : Les Temps modernes a clôturé le Festival de Cannes 2003
    • 2008 : Prix Henri-Langlois d'honneur (prix remis à Eugène Chaplin, son fils, Dolorès Chaplin et Charly Sistovaris, ses petits enfants)

    <span-headline></span-headline><span-headline></span-headline>Nominations

    • 1941 : Nommé pour l'Oscar du meilleur acteur avec Le Dictateur
    • 1941 : Nommé pour l'Oscar du meilleur film avec Le Dictateur
    • 1941 : Nommé pour l'Oscar du meilleur scénario original avec Le Dictateur

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  • Léonard de Vinci
    La Joconde (Monna Lisa)
    vers 1503-1506
    Bois - H 77 cm

    Né en 1452 dans le petit village toscan de Vinci, Leonardo da Vinci est né des amours illégitimes du notaire des lieux avec l'une de ses servantes, Catarina Vacca. Tantôt décrit comme un colosse capable de tordre un fer à cheval dans ses mains, souvent qualifié d'efféminé et rêveur, le jeune adolescent manifestera des dons artistiques très précocement. Il sera admis dans l'atelier du peintre et sculpteur florentin Andrea Verrocchio (1435-1488), à l'âge de quatorze ans, où il côtoiera notamment Sandro Botticelli ou Pérugin. Les treize années de formation intégreront l'apprentissage des mathématiques, de la perspective, de la géométrie et de toutes les sciences d'observation et d'étude du milieu naturel. L'élève s'initiera également à l'architecture et à la sculpture.

    La carrière de peintre débutera par des portraits et des tableaux religieux commandés passées par des notables et des monastères de Florence. Protégé par Laurent de Médicis le Magnifique, le peintre connaîtra rapidement la gloire. Son mécène l'enverra servir le duc Sforza, à Milan, en 1482. Léonard lui proposera le large éventail de ses compétences, dans une lettre où il écrira : "Je peux construire des ponts très légers, solides, robustes, facilement transportables, pour poursuivre et, quelquefois fuir l'ennemi [...] J'ai également des moyens pour faire des bombardes, très commodes et faciles à transporter, qui lancent de la pierraille presque comme la tempête, terrorisant l'ennemi par leur fumée [...] En temps de paix, je crois pouvoir donner aussi entière satisfaction que quiconque, soit en architecture, pour la construction d'édifices publics et privés, soit pour conduire l'eau d'un endroit à un autre".

    Les villes de Pise et de Venise, les souverains de Mantoue, la famille d'Este et le roi de France, François Ier, manifesteront leurs souhaits de s'attacher les services du génie. Ce dernier n'aura de cesse d'étudier les phénomènes naturels qui alimenteront sa connaissance de l'anatomie : "D'où vient l'urine ? D'où vient le lait ? Comment la nourriture se distribue dans les veines ? D'où vient l'ébriété ? D'où le vomissement ? D'où viennent les larmes ?" La Vierge aux rochers (Musée du Louvre), commencée en 1483, la Cène (couvent Sainte-Marie-des-Grâces Milan), exécutée en 1493, la Bataille d'Anghiari, tableau ruiné par des innovations picturales hasardeuses dont il obtiendra la commande en 1503, après une lutte acharnée avec Michel-Ange, témoignent de l'apport des connaissances scientifiques et technologiques dans l'exécution des tableaux.

    La Joconde

    Semblant prédire le succès de ce portrait, l'artiste écrira : "Ne vois-tu pas que parmi les beautés humaines, c'est le beau visage qui arrête les passants, et non les ornements riches...".

    Peinte sur un mince support en bois de peuplier, la Joconde est considérée comme le chef d'oeuvre de Léonard de Vinci. Les effets subtils de la lumière sur les chairs, et la qualité du paysage situé à l'arrière-plan, mettent en valeur le modelé du visage étonnamment réaliste. Le peintre préparera son panneau avec plusieurs couches d'enduits, dessinera son motif, puis entreprendra le travail de peinture à l'huile, additionnée d'essence très diluée, en superposant d'innombrables couches de couleurs transparentes qui lui permettront d'affiné constamment le modelé. Ces glacis contribueront à la mise en valeur des effets d'ombre et de lumière sur une imitation parfaite des chairs du visage, selon une technique baptisée "sfumato" par l'artiste.

    Le premier biographe de Léonard de Vinci, le peintre Vasari insistera surtout sur le réalisme de la Joconde : "Ses yeux limpides avaient l'éclat de la vie : cernés de nuances rougeâtres et plombées, ils étaient bordés de cils dont le rendu suppose la plus grande délicatesse. Les sourcils avec leur implantation par endroits plus épaisse ou plus rare suivant la disposition des pores, ne pouvaient être plus vrais. Le nez, aux ravissantes narines roses et délicates, était la vie même. [...] Au creux de la gorge, le spectateur attentif saisissait le battement des veines." D'autre part, grâce au "sfumato", Léonard peut atteindre un de ses objectifs artistiques prioritaires, en s'intéressant en priorité à la personnalité de son modèle : "Le bon peintre a essentiellement deux choses à représenter : le personnage et l'état de son esprit", disait Léonard. Peindre l'âme plutôt que le physique est en effet la finalité ultime de son oeuvre et le "sfumato", éclairage du portrait par le clair-obscur, accentue de fait les mystères d'une oeuvre : "plonger les choses dans la lumière, c'est les plonger dans l'infini".

    Le premier témoignage concernant le modèle de la Joconde, daté des dernières années de la vie de Léonard, évoque le portrait "d'une certaine dame florentine faite d'après nature sur demande du magnifique Giuliano de Médicis". Vasari nous apprendra que de Mona Lisa était la femme d'un gentilhomme florentin, Francesco del Giocondo, riche bourgeois exerçant des responsabilités politiques dans sa ville. Lisa Gherardini, née en 1479, épousera del Giocondo en 1495. Un dernier texte, daté de 1625, fait référence au "portrait en demi-figure d'une certaine Gioconda", qui donnera définitivement son titre français au tableau.

    Le portrait commencé durant le séjour du peintre à Florence entre 1503 et 1506, sera emporté par Léonard de Vinci lors de sa venue à la cour de François Ier. Il semble y avoir été retravaillé durant son séjour en France. Acquis par François Ier, soit directement auprès de Léonard de Vinci, soit à sa mort, auprès de ses héritiers, le tableau séjournera dans les collections royales jusqu'à la création du Museum Central des Arts au Louvre en 1793. Il sera conservé à Versailles sous Louis XIV et aux Tuileries durant le Premier Empire. Il intègrera le Louvre sous la Restauration.

    Le 21 août 1911, un peintre italien du nom de Vincenzo Peruggia dérobera la Joconde afin de la restituer à son pays d'origine. La longue enquête policière, relayée par la presse du monde entier, envisagera toutes les pistes et interrogera tout le monde, y compris les peintres cubistes et le poète Guillaume Apollinaire, qui avait un jour crié qu'il fallait "brûler le Louvre". Mona Lisa sera retrouvée en Italie presque deux années plus tard.

    Exposée aux Etats-Unis, en 1963, et au Japon, en 1974, la Joconde est aujourd'hui l'oeuvre la plus célèbre et la plus reproduite au monde.


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